Interview d’Audrey Cordon-Ragot : un cyclisme féminin prometteur

Interview d’Audrey Cordon-Ragot : un cyclisme féminin prometteur

Audrey Cordon-Ragot
Audrey Cordon-Ragot

Tuvalum a eu la grande opportunité d’interviewer Audrey Cordon-Ragot, une cycliste professionnelle de 32 ans faisant partie de l’équipe féminine Trek-Segafredo.

Audrey pratique plusieurs disciplines (route, piste…) et se déclare chanceuse de vivre aujourd’hui de son sport, qui est une véritable passion. 

Nous avons échangé sur ses débuts, son palmarès, ses routines, ses vélos et sur le Tour de France féminin et masculin. 

Vous pouvez consulter sur Youtube l’entretien dans son intégralité :

Pourquoi faites-vous du cyclisme ?

Je suis née en Bretagne dans une famille cycliste. Mon papa était cycliste, mon oncle était cycliste donc c’est vrai que j’ai été baigné dedans depuis la naissance. Je pense que la première balade que j’ai dû faire en poussette, c’était sur les bords d’un circuit de vélo donc difficile de faire autre chose comme sport quand on est dans une telle famille.

J’ai eu la chance d’arriver dans une génération qui a connu les prémices d’un cyclisme professionnel et qui aujourd’hui me permet de vivre de mon sport et ça, c’est une grande chance.

J’ai commencé à l’âge de 10 ans et je ne me suis jamais arrêtée, j’ai vraiment toujours pratiqué le cyclisme. J’ai fait plusieurs disciplines, mais je suis toujours restée dans ce sport. J’ai gravi les échelons 1 à 1 et en grandissant, j’ai intégré l’équipe de France à l’âge de 17 ans et je ne l’ai jamais quitté. Je me suis passionnée pour ce sport et je pense que c’est ça qui me fait courir encore aujourd’hui, c’est vraiment la passion.

Quel a été votre tout premier titre ? 

Pourriez-vous nous parler de vos deux derniers titres remportés en 2 jours d’intervalles ? 

Rappel : Audrey a remporté 2 titres en juin 2022 de Championne de France sur route 2022 et Championne de France du contre-la-montre 2022. Mais ce ne sont pas ces uniques titres.

Ça faisait quelques années maintenant que j’obtenais le titre en contre-la-montre. J’ai eu mon premier titre en contre-la-montre élite en 2015, puis 2016, 2017, 2018 et ensuite, j’ai eu 2 années où je n’ai pas réussi à l’avoir, j’étais deuxième à chaque fois et en 2021, j’ai réussi à récupérer ce titre sur le contre-la-montre et à le garder cette année (2022).

Je suis devenue en 2020, Championne de France sur Route élite et ça, c’était vraiment mon plus grand rêve de pouvoir porter ce maillot tricolore toute l’année sur toutes les courses.

C’était vraiment quelque chose de spécial et l’an passé (2021) je suis passée tout près de le garder, à quelques millimètres, donc j’avais vraiment à cœur cette année de le récupérer et encore plus cette année (2022) car je vais pouvoir prendre le départ du premier Tour de France Féminin avec ce maillot tricolore et ça, c’était vraiment mon plus grand rêve. Ça a été un grand moment de ma carrière et ça va l’être en prenant le départ de ce Tour de France avec le maillot bleu, blanc, rouge sur les épaules.

Avez-vous une routine de préparation spécifique ?

Toutes les courses sont pour moi une sorte de routine. C’est vrai que la pression s’amenuise au fil des années que l’on prend de l’expérience.

Si j’avais une chose que je fais vraiment à chaque fois avant le départ, c’est que j’appelle mon mari tout simplement, pour un dernier coup de boost, une dernière parole d’encouragement et pour lui dire que ça y est je monte sur mon vélo et que je serais indisponible pour les 4 prochaines heures.

Pourriez-vous nous indiquer vos principales forces dans ce sport ?

Je pense que suis quelqu’un de persévérante avec beaucoup d’abnégation. Je suis quelqu’un qui se remet beaucoup en question quand les choses ne se passent pas comme je veux et qui va de l’avant. Je pense que ce sont des qualités qui sont vraiment très importantes pour un sportif ou une sportive de haut niveau, c’est de toujours aller de l’avant, de ne jamais rien lâcher et je pense que ce sont mes qualités.

Et au contraire vos principales faiblesses ?

Je pense que je suis quelqu’un qui joue beaucoup sur les émotions. C’est-à-dire que je peux très vite être touchée par une situation qui ne me convient pas ou par des paroles qui ne conviennent pas ou qui me semblent dures. Et donc du coup, j’aurais tendance à être touchée facilement même si j’ai un caractère assez fort. Je pense que je joue beaucoup avec les émotions. Peut-être parce que je suis une femme aussi, je ne sais pas. J’aurais tendance à prendre un peu trop les choses à cœur ce qui peut parfois être un petit peu embêtant quand faut aller de l’avant et se sortir des situations difficiles. Ça peut être aussi une qualité. Ça dépend un petit peu du moment dans lequel on se trouve et de la situation.

Pourriez-vous nous parler de vos vélos ?

J’ai beaucoup de vélos à la maison. Heureusement, j’ai un mari cycliste donc ça ne le dérange pas trop que le garage abrite plus les vélos que les voitures. 

J’ai évidemment un vélo de route puisque c’est ma discipline de prédilection. Un vélo de route et un vélo de contre-la-montre. J’ai également un VTT, car j’aime beaucoup rouler en VTT surtout l’hiver et un vélo de cyclo cross, car je fais aussi du cyclo cross en Bretagne, l’hiver. J’ai aussi un fixie dont je ne me sert que très rarement, mais je viens aussi du monde la piste et c’est vrai que le pignon fixe, j’en ai fait beaucoup étant jeune. Je n’ai pas de vélo de piste en particulier mais j’ai un fixie donc si j’ai envie de faire un peu de pignon fixe c’est possible.

Combien de temps passez-vous à l’entraînement ?

Ça va vraiment dépendre du moment de l’année. Quand on est en compétition, on privilégie la récupération donc on n’a pas des grosses semaines d’entraînement.

Là, par exemple, je suis en stage en montagne pour préparer le Tour donc c’est à peu près 20 heures sur 5 jours d’entraînement.

Avez-vous une alimentation particulière à suivre ?

C’est vrai que le vélo à un rapport au poids qui est extrêmement important. Donc je fais attention, c’est évident que j’évite tout ce qui est alimentation grasse ou sucrée, etc. Après, c’est vraiment une habitude que j’ai depuis toujours donc pour moi ce n’est pas vraiment un sacrifice, c’est juste l’habitude. Quand on est en période de préparation, comme le Tour, on fait encore plus attention, car on a envie de faire le maximum sur cette compétition pour ne pas souffrir du rapport poids-puissance qui pourrait vous embêter surtout dans les longues bosses.

Avez-vous un cycliste ou une cycliste préféré(e) ?

Plutôt qu’un nom spécifique, j’aime plutôt un profil de coureur. J’aime beaucoup les coureurs de classique. Par exemple, les coureurs de Paris-Roubaix, les coureurs des Flandres, c’est vraiment ce type de coureur qui me plaît, car ce sont les types de courses qui me plaisent particulièrement.

Comment s’est passée votre participation aux Jeux Olympiques (Londres, 2012 et Rio, 2016) ?

Je pense que les Jeux de Londres ont été vraiment une découverte pour moi parce que j’étais encore très jeune et surtout qu’au début de l’année 2012, je ne m’étais pas mise en tête de faire les jeux donc ça été quelque chose d’assez particulier, plutôt une surprise. Et puis 2016, ça a vraiment été pour moi une grosse préparation mentalement, beaucoup de pression, car j’avais envie de bien faire.

Je savais que j’avais les capacités d’aller chercher un beau résultat et je me suis mis peut-être un peu trop de pression, ça été pour moi une très mauvaise expérience. J’ai vraiment beaucoup souffert sur ces jeux, physiquement et mentalement, et derrière, ça a été difficile de rebondir. Donc voilà 2 expériences complètement différentes et j’espère que la troisième expérience, que j’espère vivre en 2024, sera vraiment la plus belle et m’apportera une grande satisfaction.  

Parlez-nous du Tour de France féminin 2022. Que pensez-vous du cyclisme féminin en général ?

C’est le premier Tour de France. Le Tour de France n’existe plus depuis 1989, l’année de ma naissance donc là, il revient cette année. C’est vraiment un grand pas en avant pour le cyclisme féminin. Avant ça, on regardait le Tour de France à la télévision, comme tout le monde, et là, on va pouvoir enfin être sur le vélo et sur le devant de la scène. C’est vraiment pour nous une super opportunité pour le cyclisme féminin pour continuer de grandir et puis pour nous cycliste, c’est aussi un petit peu la concrétisation d’une volonté de notre part de participer à ce tour comme les garçons.

Je pense que le cyclisme féminin est vraiment aux prémices de ce qu’il va se passer dans les années qui arrivent. Ces 5 dernières années, on a vu une progression énorme dans le professionnalisme, dans les moyens accordés au cyclisme féminin. Il y a beaucoup plus de filles qui peuvent aujourd’hui vivre de leur sport, ce qui fait que le niveau à énormément augmenté et a énormément grandi. Donc on est vraiment dans un changement de mentalité pour le sport féminin en général, pas que pour le vélo où le grand public arrive à visualiser un peu plus de sport féminin à la télévision parce qu’on est un peu plus montré.

Donc on est vraiment dans un cercle vertueux qui commence et qui n’est pas prêt de se terminer. Même si on a pas mal de retard sur ce qui se fait chez les hommes, on grapille peu à peu ce retard et en tout cas on est vraiment dans un cercle vertueux qui va continuer de grandir et qui va faire que dans les années à venir, on aura de plus en plus de jeunes filles qui pourront en faire leur métier et gagner des titres, notamment pour la France parce que je suis concernée par ce cyclisme français évidemment. Et c’est ce que j’ai envie de voir, un cyclisme français qui puisse se développer et qui puisse faire grandir de grandes championnes dans le futur.

Audrey Cordon-Ragot en pleine course
Audrey Cordon-Ragot

Quel est votre objectif pour ce Tour de France Féminin 2022 ?

Le Tour pour moi cette année ça va être d’amener mes leaders au sein de l’équipe Trek-Segafredo le plus loin possible pour aller chercher les victoires d’étapes. C’est vrai que, personnellement, c’est un peu difficile d’avoir des objectifs, mais c’est sûr que si l’opportunité se présente à moi, je n’hésiterai pas à les saisir également. Donc on y va dans l’idée de ramener des victoires, ça c’est une certitude.

Personnellement, pourquoi pas aller chercher une victoire d’étape. Ça serait vraiment le summum surtout avec le maillot tricolore sur le dos.

Des étapes redoutées et d’autres où vous y voyez des opportunités ?

Il y a une étape du côté de la Champagne Ardenne qui empruntera des chemins blancs, un peu à l’image de ce que l’on fait sur les Strade Bianche. C’est vraiment le profil de course que j’aime beaucoup parce que c’est un profil où tout peut se passer, un peu comme sur les pavés. On peut être victime d’une chute, d’une crevaison et ça change toute la course donc c’est vraiment un profil de course qui me plaît beaucoup et sur lesquels j’aimerais vraiment m’exprimer.

Sur les deux dernières étapes, qui sont pour moi les plus difficiles de ce tour puisqu’on aura un arrivera sur la super Planche des Belles Filles. Je pense que là, ce sera vraiment les 2 étapes où le classement général va se jouer donc ça risque d’être un peu plus “chaud” où les leaders vont se découvrir.

Appréhendez-vous une cycliste ?

Votre plus beau souvenir du Tour de France ?

Je me souviens d’un Thomas Voeckler en jaune pendant quelques semaines sur le Tour de France et c’est quelque chose qui m’a fait vibrer parce que ça faisait vibrer les français de le voir maillot jaune sur ce tour. Jour après jour, garder ce maillot, après une rude bataille pendant la journée. Ça a été aussi un exemple à suivre pour moi, de pouvoir rêver de ce maillot jaune et de se battre pour ce maillot jour après jour alors qu’à la base on est pas dans les favoris du Tour.

Et le Tour de France masculin, le suivez-vous ?

Je suis une grande fan du Tour depuis des années et je suis encore plus impliquée aujourd’hui, car mon mari est dans une équipe en tant que mécanicien et fait le Tour actuellement donc c’est vraiment une des équipes que je suis et puis évidemment l’équipe de Trek-Segafredo puisqu’on a aussi nos homologues masculins qui sont sur le Tour. Donc ce sont vraiment les 2 équipes que je suis. Le tour fait partie de ma récupération après chaque journée d’entraînement, je me pose devant le Tour et ça fait partie de ce que j’aime faire.

Retrouvez notre article complet sur le Tour de France Masculin 2022.

Un petit mot pour la fin ?

Un grand merci à Audrey pour cet entretien passionnant. À une prochaine fois !

Written by
Tuvalum
Join the discussion